À un poète inquiet


Je n’avais rien lâché depuis le départ de papa. J’avais pourtant des images à évacuer : cernes noirs, joues creuses et yeux tout en paupières. Papa poète rêveur chaleur, “aimeur” et aimant.  

Il est parti sans dire un mot, lui qui en avait tant écrit. Il est parti sans nous réveiller, quand les mimosas fanaient sur les arbres, les camélias à peine éclos. C’était le 3 mars et j’avais seulement fabriqué quelques papillons blancs. J'en avais laissé un partir avec lui. Il était tout entier couvert de son texte

Flap, flap flap, papa.

 

Quand il a fallu reprendre mon chemin, j’ai couru. 

Enchaîner, pas s’arrêter, pas laisser monter le flot qui submerge, incontrôlable. 

 

Et puis, finalement, stop ! 

Confinement de l’Ile-de-France, fermeture du printemps des poètes à la galerie du Génie

Et merde !

 

Le scanner grognait dans la pièce à côté pour numériser des poèmes de jeunes ados écrits de toutes les couleurs. J’ai fermé la porte, ouvert les fenêtres, me suis collé les écouteurs sur les oreilles, prévenu Gabriel - le stagiaire qui enchaînait les scans - que je n’entendrai rien pendant une vingtaine de minutes.


Puis, j’ai envoyé Coltrane. Histoire de passer encore un moment avec mon père. 






Quand tout fut fini ou presque, j'ai lu quelques-uns des poèmes de mon père.
J'ai trouvé celui qui me racontait ce que je venais de faire.




Dans tous les espaces, cela !

Les cris,
Les doigts accusateurs,
Les poings levés vers le ciel,
Les mains ouvertes qui se referment,
Les mains tendues qui retombent
Inutiles.
Les cris pris en écho
Par tant et tant de foules.
Ces bras levés bien au-delà des morts,
Bien au-delà des mots,

Contre les tyrans toujours vivants.
Pour tous les innocents qui vont mourir,
Que ces cris deviennent des vagues mouvantes,
Sur les mers et sur les océans.
Que ces foules hurlent,
Comme le vent, mais en tempête,
Contre ces crimes de sang.
Que cela ne reste pas dans la nuit des aveugles,
Noyé et effacé dans nos pauvres mémoires.

Marc Queyras, 1934 - 2021
Le début de ce texte est écrit sur l'œuvre présentée ici.


 

  Le Poète inquiet. Encre pigmentaire et acrylique sur papier 180g. 150 x 80cm.

 

 

 

 

 

 

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