"Le nouveau monde arabe"

 
C'est l'une des citations que je préfère et elle nous vient du philosophe Alain : "tout homme persécute s'il ne peut convaincre. A quoi remédie la culture qui rend la diversité adorable".

Alors que des dizaines de milliers de personnes se sont réunies dans la banlieue de Tunis pour enterrer Chokri Belaïd, je pense à ces deux phrases. Pourquoi ? Parce que la Tunisie est d'abord un pays instruit. Dans ce pays, l'éducation est depuis longtemps une priorité et la part annuelle allouée à l'éducation avoisine 7 % du PIB (6,6 % en France). Comme le soulignait Emmanuel Todd dans une interview donnée à Libération en janvier 2011, "l'alphabétisation y est quasi achevée".

Ce n'est donc sans doute pas un hasard si c'est en Tunisie qu'est né le "Printemps arabe" : il y a deux ans, ce peuple instruit, qui se savait capable de choisir son destin, a décidé de mettre fin à la dictature de Ben Ali… 
Souvenez-vous l'enthousiasme qu'avait alors suscité, sur toute la planète, ce soulèvement de démocrates dans un pays musulman. On croyait alors voir s'ouvrir une nouvelle voie — celle d'un "nouveau monde arabe" pour citer le magazine Rukh - qui allait provoquer un choc de civilisation. On espérait même que cette nouvelle voie serait de nature à tordre le cou des obscurantistes islamistes. 

Quand Ennahda remportait les premières élections, nous avons tous déchanté. Surtout les Tunisiens et encore plus les Tunisiennes. Je me souviens comme alors les sceptiques avaient moqué les enthousiastes de la première heure, comme ils avaient ironisé sur les Tunisiens soit-disant démocrates.
Mais rappelons-nous : Ennahdah n'emportait qu'un peu moins de 42 % des suffrages et l'abstention dépassait les 50 %. C'est dire s'il était exagéré, déjà alors, de faire de la Tunisie un pays rétrograde et islamiste. D'ailleurs, depuis que Ennahdah occupe 90 des 217 siègles que compte l'Assemblée constituante, les vigies de la démocratie tunisienne n'ont pas cessé d'œuvrer, dénonçant aussi souvent que nécessaire les signes précurseurs d'une future constitution trop marquée par la charia.

Mais Ennahdah avait gagné les élections et puisque les Tunisiens avaient choisi la démocratie, ils acceptèrent la sanction des suffrages… extrêmement méfiants, toutefois. Peu à peu, à mesure que l'incapacité du pouvoir à avancer sur une constitution se faisait jour, à mesure que s'étendait la mainmise des religieux sur les différentes sphères de la société, la méfiance du peuple tunisien est devenue défiance.
Mercredi, l'assassinat de Chokri Belaïd a fini d'écœurer les Tunisiens. 

Alors, moi – peut-être un peu naïve, je vous l'accorde – je me prends à espérer à nouveau, à croire que cette nouvelle voie tunisienne ne s'est jamais fermée, qu'elle fut juste encombrée, embouteillée. Je veux croire à nouveau que les Tunisiens – éduqués ! – sauront faire la laïcité musulmane. 

Les années de Terreur n'ont pas définitivement tué la démocratie en France et les idéaux humanistes ont fini par ne plus laisser faire. Alors, depuis mon petit coin de France, en ce jour des funérailles de Chokri Belaïd, il me semble devoir rendre cet hommage : je veux croire dans la démocratie tunisienne.
Paix à son âme, paix à son peuple.

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