Vous avez dit crise ?


 
Exaspérée par l'évidence de la corruption qui règne dans ce pays dont on espérait — il y a fort longtemps, il est vrai – qu'il pourrait être un modèle de démocratie et d'équité, usée par la violence du vocabulaire politique porté par des femmes et des hommes plus soucieux de s'invectiver que d'imaginer un monde nouveau, j'ai laissé sans commentaire les derniers développements des affaires et des petites phrases.
Fatiguée aussi de répéter encore et encore la tristesse impuissante qui me prend à chaque annonce de nouveau massacre en Syrie, lassée de ne rien pouvoir dire de neuf sur le Mali dont on devine que l'installation de la paix sera bien plus délicate que la conduite de l'offensive Serval, je me suis tu ces jours-ci.

Puis est venue cette nouvelle venue d'Afrique du sud : les Brics (Brésil, Chine, Inde, Afrique du Sud, Russie) veulent créer leur propre banque de développement, affichant ainsi leur volonté de s'émanciper d'un ordre mondial qui, manifestement, est devenu un gigantesque désordre, et pas seulement financier. Certes, on peut avoir de sérieux doutes sur cette institution, surtout quand on voit que la Russie de Poutine (celle-là même qui blanchit son argent sale dans les paradis fiscaux, dont Chypre) est partie prenante de cette opération. Il n'empêche : ce qui est dit là n'est pas anodin et c'est même un signe majeur du bouleversement du monde auquel nous assistons et dont la crise de la zone euro n'est qu'un autre symptôme.

Le monde ne nous appartient pas et ces décennies de sur-consommation qui furent les nôtres et que permirent le pillage de la planète par quelques nations, sont en train de disparaître. On peut continuer de refuser la décroissance, on peut même croire qu'elle est juste impensable pour l'être humain qui veut inévitablement mieux pour ses fils que pour lui-même… il n'empêche, la décroissance n'est plus une ambition : elle est chez nous un fait avéré ou imminent ; le fruit, sans doute, d'un juste rééquilibrage de la répartition des richesses sur cette planète. Si je veux être honnête, l'humaniste que je suis ne peut que se réjouir de voir les pays que l'on disait autrefois du Tiers-Monde — par analogie avec la misère du Tiers-Etat dans l'ancien régime — de voir ces pays-là lever la tête, ses peuples accéder aux soins, à l'éducation, à la classe moyenne, etc.

Mais je mesure aussi combien cela n'est pas encore l'avènement d'une justice sociale. Ca et là — chez nous aussi — nombreuses sont les oligarchies qui détournent, engrangent pour leur propre clan, ce qui devrait revenir aux peuples. Je mesure aussi les risques que font courir à notre monde occidental ce qu'il faut bien considérer comme un déclassement : hier nous étions les maîtres du monde, aujourd'hui nous perdons un à un tous nos leaderships. 
C'est justice. Mais c'est aussi pour nous une gigantesque gifle : nous sommes en train de nous faire remettre à notre place et l'on n'accepte pas facilement de se prendre cette claque-là. Ainsi, le fait que de nombreux électeurs de gauche aient choisi de voter pour une représentante FN dans la deuxième circonscription de l'Oise en dit long : nous demeurons crispés sur notre grandeur passée, nostalgiques d'un temps qui n'était bon que pour nous et qui signifiait, ailleurs, une immense misère. Nous mesurons mal que le monde a changé, qu'il ne fait d'ailleurs que changer et que, peut-être, nous en serons les laisser-pour-compte si nous continuons d'être inadaptables.

Je me souviens d'un prof qui définissait ainsi la crise : "c'est la confrontation entre un ordre ancien et un ordre nouveau". Il disait aussi que le nouveau finissait toujours par l'emporter. Nous sommes l'ancien monde et nous manquons cruellement d'imagination.

Cette lucidité assumée, permettez donc que je me réfugie, un instant, là où nul discours de haine ne peut m'atteindre : sur Planète Love.

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