Extraits d'iris


Mes muses habitent un jardin des Hautes-Alpes : celui de Coste Belle, mon coin de paradis sis à Puy-Saint-Vincent sur le lieu-dit du Serre et Coste-Telme. En arrivant ce printemps, je les ai dénichées en bordure de muret. Profitant de mon absence, elles avaient fait pousser une chevelure hirsute sur un visage de pierre. 
Gros nez, mine réjouie et cheveux fous : là se cachait un lutin que le soleil ravissait et que le vent chatouillait. Il me semblait le voir narines frissonnantes, humer tous les parfums de ce printemps naissant : asters, iris, corbeilles d'argent, ancolies par dizaines, clématite généreuse, premiers boutons de roses, premières pivoines, premiers pavots et partout, une multitude de pousses et radicelles annonçant les suivantes : lavatères, sauge, lys martagon, panicauts, oursins de Provence, gentianes, hellébores… et toutes celles dont j'ignore le nom. 

Le lundi pourtant, il nous fallut quitter mon Eden florifère. Je me lamentais : six à huit semaines nous séparaient d'un prochain retour et j'allais manquer les pivoines, les roses blanches et les fleurs d'hydrangea. Lors, pour me consoler, je cueillais les roses qui sinon, allaient faner sur l'arbre, j'ajoutais quelques œillets mauves et blancs, ainsi que des iris ; violets et jaunes. J'en fis un bouquet. Celui-ci passa le col avec nous, supporta quelques ralentissements à l'entrée de la capitale et arriva, flapi, au 4e étage d'un immeuble parisien. Il apprécia vivement de plonger dans un vase d'eau mais — hélas !— ne se releva jamais tout à fait du voyage. Quatre jours plus tard et malgré tous mes efforts, les pétales se flétrirent et un iris agonisant lâcha, dans un dernier râle, une tache violette sur ma nappe… foutue !

Mais quand j'ai vu la tâche, j'ai oublié la nappe, je n'ai vu que la tâche violette liserée de vert et d'orangé, je n'ai vu que de sublimes nuances de ton… je venais de trouver le moyen d'offrir l'éternité à mon bouquet moribond.
J'ai découpé les fleurs, recueilli les pétales… écrasé au pilon sur une feuille de papier chacun de mes iris, fait sécher patiemment ce fond et les pétales de rose… 
Avant même de tracer la première ligne d'encre, je décidais d'appeler cette série "Extraits d'iris". Me sont alors revenues quelques lignes de René Char, tirées de cette Lettera Amorosa dont je vous ai déjà parlée :

"Voici encore les marches du monde concret, la pers­pective obscure où gesticulent des silhouettes d’hommes dans les rapines et la discorde. Quelques-unes, compen­santes, règlent le feu de la moisson, s’accordent avec les nuages.

Merci d’être, sans jamais te casser, iris, ma fleur de gravité. Tu élèves au bord des eaux des affections mira­culeuses, tu ne pèses pas sur les mourants que tu veilles, tu éteins des plaies sur lesquelles le temps n’a pas d’ac­tion, tu ne conduis pas à une maison consternante, tu permets que toutes les fenêtres reflétées ne fassent qu’un seul visage de passion, tu accompagnes le retour du jour sur les vertes avenues libres ».





Extraits d'iris. Série de 14 petits formats (9x13cm) sur papier torchon et 1 format carré (15x15cm) sur papier vergé, réalisée avec des fleurs d'iris, des pétales de roses et de l'encre de Chine. Voir la série complète

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