Interlude printanier / Les Mondes retrouvés (4)


Après cette fête gigantesque que donnèrent les peuples de pierre d'Hatra, nous eûmes quelques jours de répit. Attaquées sur un autre front, les armées de Daesh semblaient ralentir le rythme de leurs razzia... à moins que la musique n'ait couvert leurs exactions et que le bruit des bulldozers ne soit pas parvenu jusqu'à nous.

Que devenaient les derniers peuples de pierre ? 
Grisée par le printemps qui démarrait ici avec force douceur, je me plaisais à espérer que sur les bords du Tigre, des nymphes insouciantes annonçaient elles aussi le retour des beaux jours... A espérer ou à rêver, parfois c'est la même chose.
Toujours est-il que sur ma feuille de papier, les naïades s'égayaient à l'abri des regards. Dans ce pays où continue de planer le drapeau noir de Daesh, elles vivaient malgré tout.

J'étais là, savourant de les voir s'amuser, quand j'entendis une voix me souffler à l'oreille :

"Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ; 
(...) "

Je sursautais. Ce poème de Rimbaud comptait parmi mes muses favorites et voilà qu'il me prenait par surprise. Je me retournais, cherchant le propriétaire de cette voix qui déclamait des vers comme pour résister à l'obscurantisme. 
Je finis par le débusquer caché derrière un arbre. Je vis d'abord ses pattes et pensait à un chevreau, jusqu'à ce que me reviennent quelques vers plus tardifs dans le poème de Rimbaud :


"(...) Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénuphars baisaient la nimphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts,
Dans les veines de Pan, mettaient un univers !
(...)"

Quand il sortit de son arbre, j'en restais bouche bée  Nom de Zeus ! C'était bien Pan !
Sa présence ici était la promesse de tout un univers, disait le poète... 
Il faut toujours croire les poètes : d'ailleurs Pan ne manquait pas d'expérience et me semblait avoir le profil pour nous sortir de ce pétrin. Rappelez-vous comme il fut persécuté par les hommes du pape, comme il fut à chaque fois, émasculé par les bigots.

Alors, sur ma feuille de papier, Pan retrouva sa vigueur... et comme c'était vendredi et que demain serait chômé, il paya sa tournée. C'était un premier pas.




Ont participé à ce quatrième épisode :

Le Bain des nymphes, bas relief, jardin du château de Versailles
La Nymphe à la coquille, jardin du château de Versailles (copie d'un orignal grec)
Pan, l'un des deux éléments de la sculpture "les satyres della valle", 1er siècle après JC (Palais neuf, Rome)
Arthur Rimbaud, Soleil et Chair, Poésies


Pour voir les épisodes précédents des mondes réenchantés :

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