Musique Camille !
Le Quatuor de Camille, encres sur papier torchon, 36 x 51 cm, 2015
Depuis toujours, j’ai la conviction que la création a besoin
de regards croisés entre toutes les disciplines, artistiques ou non. C’est dire
si j’étais enthousiaste quand Camille m’a invitée à participer ! Restaient deux
questions qui me taraudaient : mon temps de peintre serait-il compatible
avec le temps musical et plus encore avec un temps scénique ? Saurais-je
travailler sous un regard autre, moi qui ai plutôt tendance à bosser en
ermite ?
Alors, pour cette première session, on s’est juste donné pour objectif d’essayer ; sans
obligation de résultat, ni pictural, ni musical : séance de test, donc. En
duo pour commencer.
Camille a réglé ses appareils, lancé les premières boucles
musicales et joué quelques notes au clavier. J’ai dodeliné de la tête et des
orteils quelques secondes, à genou devant mon
bloc de papier immaculé, une bouteille d’eau à la main, entourée de mes encres et de mes outils.
Et puis j’ai attrapé le rythme et aspergé ma feuille d’eau fraîche en battant
la mesure, j’ai saisi un pinceau, l’ai trempé dans un encrier, éclaboussé à
nouveau, puis plusieurs fois encore, en changeant d'encres… Splash ! Pschht ! Splash !
Pschht ! J’ai observé quelques secondes les encres se diluer dans l’eau
dont j’avais aspergé ma feuille…
Elles traçaient de fins filaments en étoiles : Camille
a pris son trombone et de longues notes douces sont venues accompagner
l’évolution libre de mes encres… Sur ces sonorités délicates, je fis encore tomber doucement, goutte après
goutte, un peu d’eau, un peu d’encre, encore et encore… Ploc ! Touc !
Ploc ! Touc !
Puis, par surprise, le trombone s’est fait stridences
douloureuses.
Heurtée par ce cri, j’ai lacéré ma feuille :
Scrrrrrrr ! à chaque stridence, un grand coup de couteau. Raaac ! un coup
de raclette !
L'ambiance devenait furieusement inquiétante et me sont venues de sinistres pensées : alors, là-haut, dans ce petit appartement agréablement éclairé de
deux grands velux, là, en plein cœur de Paris, à cause des sons et des encres
noire et rouge éclatées sur ma feuille, j’ai pensé à toutes les victimes
civiles du Moyen-Orient et d'ailleurs. J’ai pris un crayon et je les ai dessinées, ces victimes de
conflits qui ne les concernent pas vraiment… Camille a joué quelques notes longues,
terriblement tristes… Dans une stridence d’encre noire et sang, un corps
agonisait, un proche penché sur lui.
J’ai levé la tête et balayé l’air de ma main à plat :
« arrêt de jeu, please ! j’ai mon compte ! »
Fin du premier set. Je vous l’ai un brin
romancé : j'ai parfois perdu le fil, j’ai raté un dessin, en ai achevé un très triste et terminais ce
premier round avec un fond sur papier, extrêmement gai, sur lequel je dessinerai à l’atelier, à
tête reposée. J’étais ravie !
On a fait une pause. Camille a voulu enregistrer les sons de
mon travail. Il a conçu une boucle avec les claquements et les scratchs
produits lorsque je pratique un peu d’arrachage sur mon papier pour aller
chercher les épaisseurs inférieures et créer de la matière ; il l’a enrichie de
frottements du micro sur le papier. Cela lui faisait une nouvelle base sonore,
en partie née de mon geste de peintre… On est partis là-dessus…
Du coup, j’ai sorti le sable de la plage de Fouly que j’avais apporté parce que c’est un lieu que nous avons en commun avec Camille, là-haut, dans le Cotentin, et j’ai testé plein de trucs pour profiter du second set de cette session d’essai.
Du coup, j’ai sorti le sable de la plage de Fouly que j’avais apporté parce que c’est un lieu que nous avons en commun avec Camille, là-haut, dans le Cotentin, et j’ai testé plein de trucs pour profiter du second set de cette session d’essai.
De retour à l’atelier, me restait à achever les créations exploitables du
jour. Je commençais par repasser à l’encre les corps crayonnés des victimes du
premier set. Là, je savourais malgré tout, comme toujours, le crissement de la
plume sur le grain accidenté de mon papier torchon ; sauf que cette fois, je me suis
dit : "ah ! faut que Camille enregistre ça !"
Du coup, après avoir laissé ma plume filer le long des
tâches tombées sur un bout de fond créé au deuxième round, et après avoir déniché deux têtes tout droit issues des mondes de Moebius, …
… je me suis racontée un petit peu, avec force traits de plume, sur l'autre bout de ce même fond, toute petite dans un foisonnement
de sons, abritée par un arbre de sable encré.
Pour conclure, sur le fond si gai que m’avait soufflé les
notes de Camille au premier set, j’ai dessiné son projet en mode quatuor.
Grand merci, Camille !
Nous n'avons pas enregistré cette première séance de test,
mais pour découvrir les sons de Camille Boullier de Branche, c'est par là.
mais pour découvrir les sons de Camille Boullier de Branche, c'est par là.
Merci pour ce moment de création que vous nous faites partager. Quel plaisir de te lire, Anne, chère amie. Quel plaisir de témoigner que la musique de Camille puisse faire danser tes plumes, crayons et encrier...quel plaisir de voir que ce projet est animé par la soif de créer et d'échanger. Camille, mon cher frère, m'en avait parlé encore lundi dernier. Et dire que cela n'est qu'une première, j'en veux encore !! Même loin, je me sens toujours aussi proche de vous.
RépondreSupprimerCyril