J'peux pas




J’habite un quartier merveilleux !
Un quartier plein de gosses, plein de jeunes.
Un quartier plein d’écoles, de petits appartements accessibles pour loger des étudiants.
Un quartier où tu peux manger dans tous les pays, à toutes les heures. Un quartier où l’on grandit sans se poser la question de savoir quelle est la couleur de ta peau parce que la question ne s’est jamais posée depuis ta naissance. Un quartier où des jeunes filles portant foulard rentrent du lycée avec leurs potes en mini-jupes en riant comment rient les jeunes filles. Un quartier où l’on prend de vos nouvelles, où l’on se dit salut sans façon entre voisins, où l’on se retrouve après le marché au bistrot du coin pour un café ou pour une bière.
Un quartier où l’on s’appelle Charles, Louise, Mehdi, Faïza, Aboubakar, Fatou, Chen, Adjit, Alfredo, Miguel, Hanz, Olga… Un quartier où tu prends toujours la précaution de savoir si les copains de tes gosses qui viennent dormir « mangent de tout » parce que c’est quand même pas compliqué de changer de menu et que voire, ça fait du bien.

Mais ces jours-ci, chaque fois que je passe le seuil du passage qui abrite mon logis, je ne peux que constater :
j’habite un quartier qui ne vit plus.
Un quartier en apesanteur.
Un quartier qui marche tête baissée, abattu, incrédule.
Un quartier devenu cimetière, sis au 50 boulevard Voltaire, Paris 11e
Un quartier qui ne comprend pas. Un quartier qui peine à faire son deuil et qui accueille le deuil de tous.

Ce matin sur le marché, ma fromagère brésilienne faisait défaut et avec elle un bon tiers des maraîchers. Ambiance étrange de bonjours aux sourires retenus et de stands désertés. Mais le marché tenait !
Chez le fleuriste, foule : t
out le monde avait en tête le carnage du Bataclan dont on voyait d'ici la façade colorée dominer les arbres du square… 


En finissant mon marché, quand je venais poser trois roses pour les victimes, une main se posa sur mon épaule. Les yeux rougis cernés de khôl, un bon visage de femme joufflue, enveloppé d’un foulard noir paré de quelques fleurs discrètes, planta son regard dans le mien et me dit, désemparée : « je suis désolée. C'est pas la peine. Ca ne répare rien.»
Elle avait raison : ces fleurs ne soulageaient que mon impuissance et cette mère musulmane pleurait pour tous les hommes parce que des monstres lui avaient volé son dieu, un 13 novembre, dans la salle de concert du quartier. Elle était plus perdue que moi et n'avait pas du tout mérité ça.

Je suis partie dépitée, en tournant le dos au Bataclan, essayant de penser à autre chose pour retenir les larmes. A l'atelier, pour essayer de reprendre mon souffle, j'ai écouté Piaf et Mistinguette, j’ai écrit encore et encore et de moult manières, le mot « vivons »…



… puis j’ai laissé filer mon doigt sur la tablette pour tenter de prendre du recul …



… de me construire quelques talismans au service d’une méthode Coué peu efficace.



Mais j’avoue : je n’peux pas.
Pas encore. Pas aujourd’hui.
Le poids est encore un peu lourd pour les nombreux cœurs légers qui font l’âme de cette ville… Mais ça viendra !


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