Réenchanter le monde


Rien ne meurt jamais tout à fait, pas même Dieu. 
Je regrette mes années de jeunesse, quand on croyait encore que Dieu était bien mort. Mais il est trop tard pour la nostalgie. (D’ailleurs, il est toujours trop tard pour la nostalgie).


Tout de même, je revois les bancs de la fac, nos rêves insensés et cette mise en garde pourtant, que Max Weber assénait depuis un siècle déjà, quand il alertait sur la solitude de l’homme moderne, son enfermement mécanique et le «désenchantement du monde». Nous le lisions dans les livres, nous n’étions pas peu fiers de remarquer la pertinence de ces écrits dans notre société qui déjà, changeait… Mais le cancer, on le sait, cela n’arrive qu’aux autres…  Aujourd’hui, il me semble que c’est notre hébétude qui a ressuscité Dieu. Dans les vides que nous avons laissés à force de renoncement. 


Nous n’avons pas assez interrogé la modernité, pas suffisamment questionné notre désenchantement. Même si les faits sont peu comparables, sans doute y-a-t-il quelques racines communes à l’abstentionisme record et au retour des fous de Dieu. L’enthousiasme des seconds naît peut-être avec le renoncement des premiers. Dans les deux cas, l’échec de notre modernité est patent !

À force de rationalisme, peut-être avons-nous oublié qu’il nous faut, pour nous serrer les coudes, un totem à enlacer. Que ce totem ne s’explique pas, qu’il est mystère, utopie parfaite, et que c’est cela qui importe parce que le sens est là. Peut-être qu’à force de vouloir tout expliquer – pas pour comprendre mais pour maîtriser – peut-être avons-nous oublié que ce n’est pas la science qui importe : seul compte le mystère que l’on cherche à percer.


La science ne suffit pas. Certes, elle explique beaucoup de choses et révèle des mondes que nous ne soupçonnions pas : un univers infini, une origine simiesque, des trous noirs et du néant, une insatiable possibilité de mondes virtuels… Qui osera dire que ce n’est pas effrayant ? Parce que c’est un fait : la science change le monde. 

C'est un peu comme si chaque découverte scientifique était une nouvelle porte ouvrant sur des tas de possibles. Une fois qu’elle est ouverte, chercheurs et artistes, malgré le manque de moyens, continuent en éclaireurs, à percer d’autres portes. 
Nous qui nous tenons en lisière, les clés à la main désormais, nous entrons dans la pièce qui vient d’être accessible et nous manipulons la découverte récente. C’est ainsi qu’en maîtrisant l’atome, on alluma des lumières, on brancha internet… et on atomisa Hiroshima et Nagasaki, Tchernobyl et Fukushima (là, tout de suite, je trouve la France un peu moins hospitalière…).

Tout dépend, en fait, des besoins du moment, d’un tissu de circonstances et de convictions, des analyses et des croyances qui sont à l’œuvre quand une nouvelle technique nous est donnée. J’insiste : ce sont nos croyances qui déterminent nos choix dans l’exploitation de nos techniques.

C’est pourquoi je ne crois pas que Dieu soit mort autrefois parce qu’il était trop vieux. Il avait juste alors des concurrents sérieux : un humanisme victorieux, un marxisme conquérant et un capitalisme florissant. Nous n’avions plus besoin de Dieu pour créer de la valeur : presque tous, nous pouvions croire que nous pourrions, dans l’un des trois systèmes, trouver les bons chemins derrière chacune des portes.

Râté !
Les humanistes sont devenus des « bobos ».
Les marxistes sont des « ringards ».
Quand aux capitalistes qui tiennent le monde depuis des décennies au moins, ils n’ont fait que des conneries !
N’oublions pas non plus, que la fête révolutionnaire s’est terminée en bains de sang et que la foule, en guise de fête, regardait les têtes tomber au son des guillotines !

Alors pour être très franche, le bon Dieu, je n’ai rien contre, mais, en fait, ça m’est un peu égal qu’il soit là ou pas là. Je peux même consentir qu’il a fait beaucoup de bien et qu’il apaise encore… D'ailleurs, j'aime infiniment les arabesques des mosquées et le calvaire du Christ qui souffre en direct live sur un polyptique de Ducio! 

Parce qu’au fond, c’est cela qui nous manque : cette ferveur, la magie d’un monde réenchanté.
Nous avons de quoi, pourtant : une planète à sauver et des hommes à respecter… à commencer par tous ceux qu’on rejette en Turquie au mépris de leurs droits.
Ce n’est pas de la charité. C’est juste qu’il y a 70 ans c’était nous et que demain, ce sera peut-être à nouveau nous.
Ceci est foutrement égoïste  et cela s’appelle un humanisme.
C’est pour ces valeurs-là que j’ai voulu l’Europe et c’est en leur vertu que je suis Bruxelloise ! 



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