Articles

Transition de brindilles

Image
J'ai abandonné sous la lune un rosier cervidé inquiet de solitude et je m'en veux un peu… Mais il est mieux là-bas, loin des mensonges et des tumultes, bien plus heureux dans sa campagne qu'au spectacle de LA campagne. Je crois que je l'envie. Mais il fallait rentrer. Quand je suis retournée dans mon atelier après un mois d'absence, Yu Man lisait. Bien sûr. Il continua à mon retour, sans ciller et sans tourner une seule page. Bien sûr. Yu Man est un fake. Bien sûr. Mais j'ai besoin de lui. Il est cette part de moi-même, la plus langagière et la plus humaine, la plus aimante ; celle que je crains menacée. Il est mon âme bienveillante et tolérante que ce monde voudrait décourager. Oh comme il est difficile, ces temps-ci, de résister au repli ! (Déjà, le cœur de pétales de Yu, doré hier, a bruni jusqu'à frôler le noir.) Alors pour reprendre le fil après un mois d'absence, pour retrouver l'esprit qui m'animait alors — quand je posais...

Le Lecteur du parc / lettre à Yu Man

Image
Puy-Saint-Vincent, le 11 août 2016 Cher Yu, Je suis au pays où le temps a le temps de passer sans qu'on s'en aperçoive, avec le bruissement des sauterelles et du vent dans les arbres, avec les pépiements des oiseaux et les étoiles filantes. Mais vrai: je vois aux fleurs qui ont fané et à celles qui ont fleuri que les jours ont accompli leur ouvrage et je ne t'ai pas encore écrit un seul mot. Comment vas-tu dans ta mansarde ? Peut-être as-tu reçu la visite d'une Alice poursuivant son lapin blanc ? Il me tarde de voir si le temps sur ton corps a modifié ton teint. Je rentre dans dix jours. Si tout se passe comme prévu, j'aurais dans mes valises un bouquet de fleurs-mots pour ton prochain jardin. Mais dans dix jours seulement. Regarde, pour l'heure les fleurs sont en chantier. Tu m'as manqué Yu Man. Pourtant ici, tout me plaît : les généreuses hémérocales qui m'offrent leurs couleurs, les montagnes et le vent, les aigles et les "je t'aime" tom...

Le Lecteur du parc - 7 : Les couleurs de la maturité

Image
L’été – enfin ! — était arrivé. Brutal. Implacable. Je pris une douche glacée et vint m’asseoir dans le courant d'air, aux côtés de Yu Man. Accablée de chaleur, je lisais en économisant chacun de mes mouvements. J’avais remarqué que les couleurs des pétales du cœur de Yu commençaient à passer, assombries peut-être par les jours de terreur que nous venions de traverser . Il s’accrochait à son livre comme si sa vie en dépendait. Je mesurais que je faisais de même avec le mien. Yu brisa le silence. - Qu’est-ce que tu lis ? - Erri de Luca,  Le Plus et le moins (ed. Gallimard) … C’est troublant. Tiens, regarde cette phrase. C’est exactement le point auquel nous sommes arrivés ; là que tu en es, toi, Yu Man. Ecoute : « Je découvrais l’infaillible précision des expériences en littérature. Je m’étonnais de la puissance définitive d’une phrase. Lire élargissait le champ de mes sens, m’apprenait à sauver les détails du pilon. Puis l’Ec...

Le lecteur du parc 6 - Peines perdues

Image
14 juillet 2016 – midi - Mais qu’est-ce qui t’prend ? Ca va pas ? Mais… Il n’en est pas question ! Tu peux me couvrir de fleurs, de tout ce que tu veux : même pas en rêve j’accepterais un truc pareil ! Non mais… t’es ouf ou quoi ? Un voile des pieds à la tête ?! Et puis quoi encore ?! T u vas m’enlever ça tout de suite ! En plus, on n'y voit rien là-dessous, pas moyen de lire ! Nan mais tu m’as vu ? On dirait qu’t’as honte ! T’as peur de quoi ? Qu’on m’enlève ?   - Eh ho ! Tu te calmes tout de suite et tu me laisses parler ! Il n’est pas question que je te mette un truc sur la tête pour cacher ta beauté. Pas question non plus que je t’empêche de lire, ni de voir tout ce qui se passe autour et encore moins que je te prive du contact avec les autres. Rassure-toi. Mais je dois mettre un peu de brou de noix sur ta chaise qui est très abîmée et je ne voudrais pas de tâcher. C’est juste un ta...

Niça la béla

Image
Aujourd'hui, c'est juillet et Nice est endeuillée. Ce dessin pour les hommes, ceux de Nice et d'ailleurs : Bagdad, Orlando, Bruxelles, Bamako, etc. (la liste est insoutenable). Une prière faite aux hommes comme une bouteille à la mer. C'est tout. Qui peut plus ? Mais pour Nice, Nice que j'aime, ces quelques mots, ce souvenir.  Parce que face aux nihilistes, j'ai juste envie de penser à la vie débordante de cette ville que j'adore. C'était un matin d'avril — "avril fais ce qu'il te plaît", c'est comme cela à Nice —. J'avais dans mon sac de plage, bien emballé dans son papier qui déjà détrempait, un pan bagna et une bouteille d'eau. Je partais avec une amie, m'aplatir sur les galets face à la Méditerranée. Pour s'y rendre, on parcourait quelques ruelles étroites du vieux Nice : linge aux fenêtres et ambiance italienne, odeur de basilic, pâtes fraîches et brioches à l'anis. L'ombre encore fraîche, à pei...

Le Lecteur du parc 5 - "Et que j'aille à la mer !"

Image
J’avais un peu abandonné Yu Man. J’étais préoccupée par quelque échéance médicale et mes muses n’aiment pas les interférences. C’est à peine si j’avais pu rendre un court hommage aux 200 victimes de l’attentat le plus meurtrier de l’année, sis à Bagdad, et dont on avait trop peu parlé. Et puis j’étais partie prendre l’air et le large, humer l’iode atlantique et me faire dorloter par ma famille, au milieu de ceux avec lesquels l’enfant que j’étais n’est jamais tout à fait loin. A mon retour, mes angoisses étaient effacées mais quand je retrouvais Yu, il était triste. D’une tristesse abyssale. - Tu m’as laissé là, seul avec tes coups de cafard et tes angoisses et moi je prends tout, comme une éponge. Ca fait un mal de chien, tu sais ! Tu aurais dû m’emmener : moi aussi je voulais fuir et voir fleurir ! T’as vu, j’ai pleuré tout un lac ! Je caressais l’épaule de Yu, désolée. - Je ne pouvais pas, tu sais bien… Tu me vois prendre le métro, puis le...

Bagdad

Image
A Bagdad, les attentats sont quotidiens. Quand il en meurt 200, voilà qu'on s'en souvient. A peine. La nuit passe et efface, un à un dans les étoiles, les morts lointains qu'on pleure sous des voiles noirs.